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Un nom qui claque au vent de la destruction comme un étendard funeste

Christian Grussi, pour Au Cœur des Années 20

Par Eilléa Femelle

Rubrique : Interviews
Date : 27 janvier 2013

Christian Grussi

Au Cœur des Années 20 est sorti au mois de décembre 2012 aux éditions Sans Détour. Christian Grussi, l’auteur principal, a accepté de répondre à quelques questions sur ce supplément de contexte de la gamme L’Appel de Cthulhu.

Peux-tu nous présenter Au Cœur des Années 20 ?

Un joli bébé d’un kilo huit et 528 pages, qui décrit une décennie emblématique. Titre ô combien attendu pour L’Appel de Cthulhu, ce n’est pourtant pas un supplément de jeu comme les autres : c’est un livre d’histoire, sans aucune donnée ludique ! Et pourtant, il regorge d’inspirations directement exploitables en jeu : pistes de scénario, personnages, plans de véhicules, événements étranges, catastrophes, tueurs, résumés de films et sérials…

Tu affirmes vouloir ne pas te limiter aux représentations que nous pouvons avoir des années 20, avec les Flappers dansant le charleston et la prohibition. Peux-tu nous les décrire un peu telles qu’elles furent vraiment ?

L’objectif de cet ouvrage, dès le départ, a été de donner une vision la plus réaliste possible de cette décennie. Comme pour toute période, l’histoire ne retient que quelques faits marquants. Au Cœur des Années 20 ayant pour vocation de servir de « bible » de contexte pour comprendre l’époque, et y faire évoluer les investigateurs, il est en effet indispensable de sortir des clichés. L’Entre-deux-guerres est une période qui a réellement vu la naissance de notre société moderne : début des communications intercontinentales, des lignes aériennes commerciales, naissance de la radio et des retransmissions en direct, du cinéma parlant et du star system, balbutiements de la télévision, mise sur le marché des premiers plats surgelés, de barres chocolatées bien connues, et ouverture des premières chaînes de fast-food... En faisant mes recherches, il m’est apparu de plus en plus que le berceau de notre mode de vie se situait dans ces années. Et qu’au final, cette période est bien plus proche de nous que nous pouvons l’imaginer, tout en étant teintée « d’exotisme » suranné.

Au Cœur des Années 20regorge d’informations, et il est quasi impossible d’en dresser un portrait sans tomber dans une autre forme de cliché. Oui, ce sont des « Années folles », mais non exemptes de crimes violents – voire sordides –, d’intrigues politiques, de guerres, de catastrophes.

Au Coeur des Années 20

Comment as-tu organisé la recherche documentaire pour être au plus près de la réalité quotidienne de ces années pas si folles pour tout le monde ?

Tout d’abord en accumulant la documentation, qu’il s’agisse de livres consacrés à la période ou de livres d’époque. Le matériel d’origine est très important, car il permet d’avoir la vision du monde telle qu’elle était à ce moment-là, et non une vision déformée par les décennies écoulées depuis.

Ensuite, une fois cette documentation accumulée, il a fallu la traiter… La manière qui m’a semblé la plus évidente était de commencer par les frises chronologiques, qui sont pour chaque année subdivisées en thèmes. Remplir les cases au fur et à mesure, vérifier et revérifier chaque point, car souvent les sources sont contradictoires, et choisir les éléments « importants ». Cette étape, très longue, est indispensable, car les frises deviennent la colonne vertébrale sur laquelle on peut s’appuyer pour ensuite écrire les chapitres, sans faire d’erreurs sur les dates et les événements. Je voulais aussi que la frise soit compréhensible en soi, que chaque entrée soit expliquée de sorte à être comprise tout de suite, sans avoir de recherches à faire.

Une fois la frise finalisée, complète, il a fallu rédiger les chapitres, en y incluant tous les éléments.

En parallèle de ce travail, j’ai également accumulé une masse incroyable de photographies d’époque, dans laquelle au final il a fallu faire un tri considérable. L’aspect iconographique est, à mes yeux, aussi important que le texte, car il permet au lecteur de s’immerger simplement en feuilletant le livre.

Le plus long, mais aussi le plus intéressant, est cette phase de recherche. Quel plaisir de découvrir la petite anecdote qui donne vie au texte ! Car là aussi, c’est un élément essentiel qui différencie Au Cœur des Années 20 d’un livre d’histoire « académique » : s’attacher au quotidien, à la « petite histoire », aux personnes ayant forgé cette époque, plus qu’aux grands événements.

Thomas Berthier a participé à l’ouvrage. A quels chapitres s’est-il consacré, et comment s’est passé cette collaboration, ce travail en binôme ?

Nous avons décidé de faire appel à Thomas, car la masse de travail restante était phénoménale. Il a été ravi de cette proposition, et je lui ai proposé de choisir les chapitres qu’il souhaitait rédiger. Ainsi s’est-il occupé de la révolution artistique, des croyances, de l’aventure et de l’exploration. Je lui ai fourni ce que j’avais déjà écrit sur ces chapitres, ainsi que toute la documentation attenante. Thomas a non seulement utilisé au mieux ces bases, mais les a grandement enrichies en faisant des recherches poussées de son côté.

Le travail s’est déroulé de la manière la plus simple et efficace qui soit. Ayant toute confiance en Thomas, il avait carte blanche. Nous avons bien entendu échangé pour se mettre d’accord sur les changements structurels des chapitres si nécessaire, et cette collaboration s’est déroulée sans anicroche.

Quel chapitre as-tu pris le plus de plaisir à rédiger ? Pourquoi ?

Difficile à dire… car tous sont intéressants. J’ai néanmoins eu un plaisir particulier à rédiger la frise chronologique, car même si c’est ingrat et complexe, il y a tout le plaisir de la recherche, le contentement de débusquer le détail « oublié », de creuser plus avant. Je me souviens de mon étonnement en découvrant que c’est à cette période qu’a été inventée la planche de surf, ou qu’une photographie de fantômes de marins a été faite à bord d’un navire, que les plus célèbres agents de la prohibition, Izzy & Moe, étaient dignes de personnages de romans.

Parmi les chapitres les plus intéressants, celui sur le crime a été passionnant à rédiger, car il me semblait important de rendre les détails sordides de certains crimes ou de parcours de tueurs en série, comme une sorte de contrepoint à l’insouciance et à la joie de vivre communément admise de l’époque. Le chapitre sur le colonialisme a lui aussi été particulièrement plaisant à écrire. Rechercher des extraits d’ouvrages d’époque, pour illustrer au mieux la mentalité occidentale, mais aussi trouver des témoignages « d’indigènes », pour avoir leur vision du colon. D’ailleurs, saviez-vous que la partie la plus succulente de l’humain est la paume de la main, à en croire un cannibale ?

Le chapitre sur la science a lui aussi été très plaisant à écrire. Le nombre de découvertes et d’avancées technologiques est simplement bluffant ! Et les dérives de la science de l’époque sont pour le moins hautes en couleur ! Les rayons de la mort ne sont pas que le fruit d’auteurs de romans pulp, et les théories les plus fumeuses sur l’histoire de notre planète ont même inspiré le 3e Reich !

Tu déclarais récemment dans une interview au Fix envisager une suite, avec les années 30. Prêt à repartir à zéro pour une nouvelle aventure similaire ? Qu’est-ce qui te plaît dans les années 30 ?

C’est en effet l’idée, car les années 30 sont aussi emblématiques pour un jeu comme L’Appel. Mais c’est un travail de fourmi. Certes, je ne partirai pas de zéro, ayant déjà rassemblé une quantité importante de documentation. Mais pour l’instant, je profite d’un bien incroyablement précieux : avoir du temps libre ! Et je ne sais pas quand je vais commencer la rédaction de ce bébé… On verra bien ! Mais c’est très tentant !

Quelques mots à ajouter à l’intention des lecteurs du Grog pour conclure cette interview ?

Je suis ravi de l’accueil que rencontre ce travail de longue haleine. Mais aussi soulagé de l’avoir enfin bouclé ! Même si ce livre n’est pas complet… En effet, il ne contient aucune donnée de jeu, et c’est un choix parfaitement assumé. Le Manuel des Investigateurs, à paraître très prochainement, comblera totalement ce « manque ». Plus de trois cents pages de matériel pour jouer à l’époque, regorgeant d’occupations détaillées, mais aussi de dossiers thématiques pour jouer un détective, un agent fédéral, un écrivain, et bien d’autres ! Avec Philippe Auribeau, à qui j’ai confié l’écriture cet ouvrage, nous avons fait un travail de recherche similaire à celui d’Au Cœur des Années 20, mais avec le prisme « jouer » cette fois-ci. L’objectif est de fournir un maximum de matériel pour interpréter un personnage des années 20, à la fois selon sa profession, son histoire personnelle, sa classe sociale… C’est un véritable complément à Au Cœur des Années 20. Les joueurs de L’Appel auront ainsi près de huit cent cinquante pages au total pour s’immerger dans une époque qui n’aura, je crois, jamais été autant décrite en détail !