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Dans un verre, 2 cuillère à soupe de sucre, 1 mesure de rhum, eau bouillante, tranche de citron

Sous l'Ecryme

Par Lesendar

Rubrique : Interviews
Date : 29 mars 2016

A l'occasion du retour d'Ecryme, les auteurs du jeu nous parlent d'eux et de leur travail.

 

Pourriez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Samuel : Nous sommes les deux faces d’une association loi 1901 appelée Role ‘N’ Roll. Savoir vivre oblige, je commence par mon collègue Alexandre Clavel qui a fait ses premières armes avec RAS SOAP , deux trois autres trucs qui se sont perdus sur le web puis une double campagne Plagues dK, enfin tout est déjà dit sur ce site. Puis, moi, Sam Metzener, biclassé rôliste sur table et organisateur de Grandeur Nature.

Ensemble, nous avons signé quelques textes pour Tenebrae dont Les Testaments trahis ou sur le suivi de la gamme Skull & Bones.

Pour vous faire une idée plus précise, nous avons créé un blog regroupant du contenu destiné aux jeux de rôle que nous aimons, auxquels nous jouons ou que nous créons. On ne peut pas dire qu'on vous prend en traître.

Écryme?

Samuel : Écryme est à l’origine un jeu de rôle paru en 1994 écrit par Mathieu Gaborit et Guillaume Vincent et étayé avec le diptyque romanesque de Bohème sorti en 1997 (de Mathieu Gaborit) chez Mnémos. À mi-chemin entre les genres steampunk et post-apocalyptique, il dépeint un monde submergé par un liquide corrosif appelé l'écryme. Ce cataclysme a forcé les humains à se retrancher dans des cités états reliées entre elles par de gigantesques ponts de pierre et de métal (les traverses). Sur ces dernières survivent des parias et des bandits chassés par l’avènement de la révolution industrielle.

Baptisé la Toile, l’univers de jeu est très visuel. Ses principales références sont Le pont dans la vase et la série des Cités obscures. Les romans de China Mieville et son monde de Bas-Lag (Perdido Street Station, le Concile de fer et même les Scarifiés) nous ont également beaucoup aidés dans nos réflexions. Et aussi certains auteurs « classiques » comme Balzac, Zola, Baudelaire, Vallès…

Alexandre : Je décris souvent Écryme comme un univers "low steampunk", par analogie au Trône de fer ou à l’Assassin royal avec la fantasy. On s’éloigne donc assez d’un Château Falkenstein ou d’autres univers plus "steampulp" (que ma mémoire défaillante m’empêche de citer) avec un côté social assez poussé, sans être manichéen. Pas de pistolets à vapeur, de robots géants ou de dinosaures mais plutôt un monde sombre, dur et mortel. Un XIXe avec un horizon urbain démesuré, un corporatisme outrancier, des machines folles, la fusion homme-machine, la pénurie de ressources, une poésie mélancolique (fallait bien le placer celui-là)… 

Quelles sont les nouveautés par rapport à la première mouture de 94 ?

 

Samuel : La Toile est décrite de façon plus étendue sans pour autant tomber dans des excès d’encyclopédisme. On a intégré dès le livre de base passablement de données parues dans les trois suppléments de la 1ère édition (EoleItinérance, la geste des Faucheurs de brise) mais surtout pas mal d’informations qui nous paraissaient indispensables pour saisir l’univers. L’exemple que je donne souvent est que la première édition ne détaillait jamais la couleur de l’écryme (mis à part les couvertures). On a également clairement défini les secrets du monde dès le livre de base. Cette nouvelle mouture se veut clé en main et rapidement jouable. À noter que nous avons conservé, quoique de façon moindre, la structure narrative de la première édition, avec une histoire qui se déroule à travers tout l’ouvrage.

Le système de jeu, lui aussi, a été entièrement revu et est plus adapté à l’univers. On voulait que ce dernier soit léger et se laisse oublier au profit de la narration. On peut expliquer en détail les orientations que nous avons voulu donner un peu plus loin.

Enfin, nous avons voulu proposer une expérience de jeu centrée autour de l’initiation des joueurs afin de renforcer la dynamique de groupe. L’univers d’Écryme recèle des secrets et les apprendre prendra du temps. Afin d’aider les maîtres du jeu, nous avons séquencé la révélation des secrets en « niveaux de jeu », un peu à la manière de Scales, le jeu des dragons de Croc. Chaque niveau possède une ambiance et des enjeux propres. Ces niveaux seront franchis durant la campagne officielle mais les enjeux et événements clés de chacun d’entre eux sont entièrement décrits afin que les MJ qui le désirent puissent faire leur propre cuisine.

Alexandre : Nous voulions vraiment mettre l’accent sur le prêt à jouer et sur les personnages. Nous avons cherché à écrire un jeu d’initiation (et pas d’initiés) avec différents niveaux de secrets. Plus les personnages progresseront, plus ils seront amenés à y jouer un rôle actif et central. Le pari que nous avons fait est d’offrir une palette d’ambiances et d’enjeux qui évoluent en même temps que les joueurs pour renouveler l’expérience de jeu. L’idée est donc de retrouver le plaisir de découverte que nous avions avec des gammes comme Dark EarthGuildes, ... qui proposaient des campagnes permettant de dévoiler au fur et à mesure l’univers aux joueurs.

Difficile de donner des informations sans déflorer le sujet que l’on veut secret pour les joueurs mais si on fait un parallèle avec le monde des ténèbres ou Vampire la Mascarade, on a un niveau de jeu « simple humain » qui permet de découvrir l’existence du fantastique ; puis le joueur devient un « vampire » et découvre ses pouvoirs (« est-ce que je peux faire ça ? », le soleil brûle, l’eau bénite occasionne des dégâts ou pas…). Il découvre ensuite les enjeux et les différentes factions principales (à noter qu’il n’y a pas vraiment de clans). Passé quelques découvertes, on se rend compte qu’il y a des antédiluviens et que la géhenne se profile. L’idée c’est d’aider le conteur à accompagner ses joueurs dans ces quatre niveaux de jeu.

Vampire, Perdido Street Station, Scales, des auteurs classiques… qu’elles sont les autres influences ?

Samuel : En gros, on a à peu près fait le tour des principales. On les détaille longuement dans le livre de base ceci dit. Visuellement, Le Pont dans la vase rappelle l’univers décadent et limité des traverses. Comme tout jeu urbain, Brazil et les Cités obscures ont été également des sources incontournables. En roman, on s’est concentré sur certains points particuliers de China Mieville. Du Bas-Lag, on a puisé ce qu’on pouvait dans la Nouvelle Crobuzon ou dans le Concile de fer, entre voies ferrées omniprésentes et tensions sociales. Il n’y a toutefois pas d’hommes cactus ou de femmes punaises et la thaumaturgie reste dissimulée... On a aussi puisé dans l’onirisme malsain de Clive Barker, un auteur qu’on apprécie énormément.

 

Alexandre : On a picoré dans ce qui nous plaisait. On s’est donc intéressé à des univers assez contemporains et à les décaler dans un univers et une cosmologie différente. On retrouve donc un peu du Monde des Ténèbres, avec des thèmes assez proches de Changelin, de Mage, de Scales et ses gestalts et quelques touches de Kult pour son approche du « voile ».

Et pas de Chroniques des crépusculaire, de Chroniques des Féals ?

Samuel : Si bien sûr ! Comme tous les univers de Mathieu Gaborit, on conserve une certaine cohérence ne serait-ce que pour le côté insolite, excessif, poétique, et quelques néologismes. On retrouve immanquablement des Chroniques des Féals ou Agone, bien qu’on ait cherché à s’en détacher un peu. Que voulez-vous, on reste attiré par les mêmes choses, les même types d’univers (et on a tous été et sommes encore joueurs ou meneurs à Agone et aux Féals). Ainsi, même inconsciemment, c’est assez difficile de renier totalement les autres univers de Mathieu Gaborit.

Mais dans une certaine mesure, la lecture du cycle de Bohème n’est pas un passage obligé pour jouer. On la conseille aux meneurs parce que c’est un très bon roman mais pas aux joueurs. Au contraire même, elle révèle certains secrets...

A ce sujet, comment s’est déroulé le travail avec Mathieu Gaborit ?

Alexandre : J’aurais tendance à dire extraordinairement bien, mais pouvait-il en être autrement ? Une fois rassuré sur l’avenir de son premier univers, Mathieu nous a laissé carte blanche. Car s’il n’a pas participé activement au développement de la nouvelle mouture, il n’en a pas moins donné son avis à plusieurs reprises. Au début, on hésitait à modifier tel ou tel point, puis avec le temps et ses encouragements, on a repris de fond en comble le background tout en conservant la verve créatrice qui caractérise ses univers. On a donc bénéficié de concepts visuels forts (la noblesse marchande, les temples-usines, les dieux froids, les avocats-duellistes…) tout en cherchant systématiquement à supprimer ce qui n’apportait rien d’un point de vue ludique. En effet, de mon travail sur Plagues dK, j’ai gardé deux précieux conseils donnés par Benoit Attinost : toujours faire un plan (j’aurais plus souvent dû suivre ce conseil) et ne jamais oublier qu’on fait un jeu et pas de l’art. C’est sur la base de cette deuxième recommandation et avec les encouragements de Mathieu qu’une partie du jeu a été passé à la moulinette.

Du Gaborit sans Gaborit ? De même, puisqu’il existe déjà deux univers adaptés en jeu de rôle, n’avez-vous pas peur de décevoir les attentes des fans et/ou les lasser ?

Alexandre : Du Gaborit sans Gaborit, je ne l’aurai pas dit comme ça mais il y a un peu de vrai. Comme je l’ai dit précédemment, on a beaucoup travaillé avec Mathieu sur la conception du cahier des charges, sur ce qu’on allait écrire. On a eu presque un an d’échanges sur les buts du jeu, les rôles des personnages-joueurs... Le vrai problème c’est qu’à chaque fois que Mathieu rebondissait sur nos idées, en « lançant des trucs en l’air », nous on avait beaucoup de mal à les laisser retomber ou à les oublier. On a donc vraiment travaillé sur la définition (à chaque niveau de jeu) des enjeux et ambiances qu’on voulait donner et on s’est fait violence pour oublier ce qui ne servait pas notre propos. Paradoxalement, ce temps passé nous a grandement aidé à faire un plan et à être certain qu’on ne faisait pas de l’art mais un jeu.

Une fois fait, on a travaillé en versions. A chacune des versions, on a épuré l’univers pour le (re-)façonner à notre sauce. Comme je l’ai dit, c’est Mathieu qui nous encouragé à le faire et, passée la deuxième version, on s’est vraiment réapproprié l’univers. Pour faire simple, on avait beaucoup moins de remords à tordre deux trois trucs, à en faire disparaitre. La richesse des univers de Mathieu Gaborit constitue leur très grande force mais aussi une petite faiblesse si l’on considère les efforts pour y entrer. Basé sur le postulat qu’on écrivait un jeu et pas de l’art, on a cherché à avoir un univers peut être un peu moins littéraire mais plus cohérent et facile à prendre en main. Ça a été d’autant plus aisé qu’Écryme a suivi le chemin inverse des autres univers de Mathieu ; d’abord un jeu puis un cycle romanesque.

Bien qu’on soit des gros fans d’Agone, d’Abyme et des Chroniques des Féals, je ne pense pas que les jeux soient comparables. Pas uniquement parce que l’on a des backgrounds différents (médiéval flamboyant, médiéval horrifique et steampunk post apo) mais surtout dans notre façon d’aborder les implications des joueurs. Pour Agone par exemple, si les auteurs avaient pris le parti de faire découvrir aux joueurs l’Inspiration et le Masque, on aurait eu une autre expérience de jeu (ni moins bonne ni meilleure mais tout simplement différente). C’est le pari que nous avons fait en écrivant Écryme.

Après, ça reste quand même un univers développé à la base par Mathieu Gaborit et on y retrouve donc obligatoirement sa « touche ».

Au final, si je vous comprends bien, Écryme est un jeu à secrets. N’avez-vous pas peur, là aussi, de vous lancer dans une niche déjà passablement occupée ? 

Alexandre : Effectivement, les secrets jouent un rôle essentiel dans le jeu. Sur ce côté-là, on a bénéficié des écueils de quelques grands frères (du moins ce qu’on en a lu sur les forums) et on s’est débrouillé pour que le livre de base contienne environ 80-90% de ce qu’on veut en tirer. Dès le premier livre, on donne aux MJ l’intégralité des grandes lignes ainsi que beaucoup de grain à moudre lorsqu’ils lanceront leurs parties. Mieux encore, la souscription permet d’envisager une mini-gamme et fournit la première campagne ce qui, pour nous, équivaut à fournir Dark Earth avecLa croisade de la ville Mouvement ou Guildes avec Le Requiem des Ombres.

Samuel : Le but est de proposer un univers dynamique qui réagit en fonction de secrets découverts et évolue en même temps que les joueurs. Pour que le MJ puisse faire jouer et comprenne ce qu’on lui proposait, il fallait lui en donner pas mal dès le départ.

Après, j’anticipe un peu la question, mais Écryme n’est pas forcément un jeu à campagnes (même si c’est ainsi qu’il prend tout son sens). On peut très bien faire des one-shot et jouer sans surnaturel ou très peu. On se retrouve alors avec un jeu plus à mission/mercenaire à la Cyberpunk /Shadowrun. Comme c’était le cas pour la première édition.

Jeu à secret révélés dès le début, vous comptez quand même faire une gamme ?

Alexandre : En réalité, ça dépendra un peu du suivi par les lecteurs. C’est pour cela qu’on a essayé de faire un livre de base se suffisant à lui-même.

Si le succès est au rendez-vous, on s’est entendu avec les éditions du Matagot sur deux gammes potentielles. Une première, principale composée de trois livres d’environ 1.2-1.5 millions de signes chacun avec le livre de base, un écran, un atlas où l’on reprend très en détail la Toile décrite dans le livre de base et un dernier ouvrage destiné uniquement au MJ qui reprend les secrets et développe la vision et les pistes initialement proposées. Après, si le public suit, on envisage des suppléments plus courts : moitié background moitié scénarios.

En parallèle, en bons fans des travaux du Souffre-Jour et des Chroniques des Féals, on aimerait développer des produits «participatifs». Je l’ai fait pour Plagues dK, dans une moindre mesure sur SOAP ou RAS et je reste donc très sensible à ce type de travail même si rien n’est clairement défini pour l’instant.

Samuel : La souscription, en cas de succès (ndlr : la campagne de financement a très largement dépassé ses objectifs), permettra de financer déjà quelques beaux suppléments et autres très belles surprises. L’éditeur a envisagé de présenter le livre de base sous la forme de trois livres, auquel s’ajoutent l’écran et la campagne.

Pour motiver les gens à investir dans notre projet, nous avons rédigé un très (très) grand nombre de scénarios qui seront libérés au fur et à mesure ainsi que deux suppléments. Nous travaillons déjà à la suite de la gamme mais le tout, devrait déjà permettre de jouer un sacré bout de temps.

Un triptyque de base ? Vous avez aussi des dragons ?

Alexandre : Non mais notre éditeur a lourdement insisté pour que nous ajoutions des créatures innommables et indescriptibles… Plus sérieusement, l’idée est de faire un magnifique objet mais aussi de jouer avec. Ainsi, on voulait faciliter le transport du livre de base sans imposer le scénario/campagne d’introduction, les nouvelles et la description de l’univers…

Un mot de la fin ? Une question oubliée ?

Samuel : Écryme c’est bon ! Mangez-en ! Même des gens qui n’étaient pas convaincu à la base ont vraiment apprécié, après l’avoir testé. Pour en savoir plus, retrouvez nous sur le blog ou notre facebook.