Comme d’autres rôlistes, j’ai souvent coutume de dire que je n’ai pas commencé le jeu de rôle avec un jeu de rôle. Et encore, vous avez de la chance, je vous passe la période Playmobil Western. À 8 ans (c’est aussi l’année où je découvrirai la Game Boy, il n’y a pas de coïncidences), un ami me propose d’essayer un nouveau jeu de plateau. Ce jeu, c’est HeroQuest, la version de MB.
C’est un vrai coup de foudre : d’abord l’illustration, que je trouve si saisissante et immersive à l’époque. On s’y croirait, de l’aventure, de la vraie ! Le contenu concrétise ces promesses : les figurines donnent immédiatement envie de jouer avec, le plateau et ses décors sont magnifiques, le sorcier Morcar terrifiant sur son écran de MJ. On commence à jouer, je découvre la création de personnage, avec sa fiche, le système de jeu, l’introduction qui commence comme une histoire de fantasy, où ce sont nos personnages qui sont au centre du récit ! Et ce plateau dont on découvre les pièces au fur et à mesure, où on va où on veut ! Même si dans la pratique, les chemins possibles étaient assez limités. Les aventures se suivent, et on rencontre de nouveaux monstres, de nouveaux personnages, on réfléchit scrupuleusement à l’équipement que l’on va acheter entre les parties...
Le plateau modulable m’apparaît à l’époque comme un moyen inépuisable d’imaginer de nouvelles aventures, et quelques mois plus tard, j’ai la chance d’avoir mon propre HeroQuest. J’y joue beaucoup, avec mes amis. On met de la musique, je crée mes propres aventures grâce à la carte vierge, avec les petits textes qui les accompagnent, je dessine les héros, imagine leur vie... Je joue aussi seule, parce que les dés me procurent le frisson de la surprise et créent de l’inattendu lors des combats. Bref, je suis fan de dungeon crawl et de porte-monstre-trésor, et encore aujourd’hui, quand je sors le jeu pour mon neveu, je m’amuse énormément.
À 11 ans, à l’école, je tombe sur un livre dont vous êtes le héros, je ne me souviens plus lequel. J’ai l’impression de trouver une mine d’or : de nouveaux mondes à parcourir, d’une façon encore différente et passionnante ! J’en lirai avidement pendant les années qui suivront. Je me souviens qu’on se prêtait les différents bouquins dans la cour de l’école comme si c’étaient des biens très précieux et un peu sulfureux (oui, c’était notre idée du "cool" à l’époque). Je me rappelle aussi du regard dépréciateur de ma prof de français : "mais on lit pas grand-chose dans ces livres-là, ce ne sont pas de “vrais livres”..." Premier contact avec le mépris des représentants de la culture dominante envers la culture populaire.
Parmi mes séries favorites, on trouve Les Messagers du Temps, parce que l’on peut jouer une femme ou un homme, et que l’on traverse quatre époques moins explorées ailleurs (Moyen-Âge, Révolution française, Ouest des USA, 1989 à San Francisco). La série Quête du Graal m’a aussi beaucoup marquée, pour son humour parodique certes, mais surtout pour la façon dont elle s’adresse directement à la lectrice : Merlin vient vous chercher, vous, pour accomplir ces quêtes. Vous occuperez le corps du fermier Pip, mais c’est bien vous qui serez aux commandes. J’ai encore adoré ce procédé quelques années plus tard dans le jeu vidéo Nomad Soul, d’intégrer ainsi la joueuse dans la fiction.
Parallèlement, je continue à lire et à découvrir nombre d’auteur-e-s et d’œuvres qui finissent d’ancrer mon goût pour la fantasy, le fantastique et la SF : Anne Rice, Poppy Z. Brite, Philip Pullman, Tolkien, Mathieu Gaborit, Neil Gaiman, Megan Lindholm, Stephen King, Léa Silhol, Buffy, Xena, Alan Moore, Warren Ellis, Ghost in the Shell, Evangelion, Shenmue, Resident Evil, Nomad Soul, etc.
Comme je commence la guitare, je réalise aussi à quel point la musique a ce pouvoir similaire de nous emmener dans d’autres mondes où nous pouvons imaginer nos propres histoires, souvent sans mots. C’est ainsi que je me mets à écouter du rock et du métal progressif, mauvaise habitude qui ne m’a pas quittée. Encore aujourd’hui, c’est une grande source d’inspiration quand je dois imaginer des éléments de jeu de rôle (scénario, personnages, etc.).
Ce n’est qu’à 18 ans que je commence le jeu de rôle "proprement dit". Lors de ma première année de BTS à Toulouse, je m’inscris au club de mon école. Je fais quelques parties de Vampire : la Mascarade et d’INS/MV, et je comprends que je viens de trouver ce que j’ai toujours cherché : une façon de créer, d’imaginer et de vivre des histoires avec d’autres gens, ensemble, d’une façon vive et puissante (même si, soyons clairs, ce n’est pas toujours comme ça, le jeu de rôle, le simple fait d’entrevoir toutes ses potentialités a été un vrai vertige de bonheur-oh-la-la-c’est-trop-bien).
Les années qui suivent, je joue intensément avec des joueuses et des joueurs qui deviendront mes ami-e-s. Je découvre que comme dans un groupe de musique, on peut vite partager beaucoup sans très bien se connaître lorsque le courant passe. On enchaîne les campagnes au long cours, pour lesquelles je garderai toujours une affection particulière : prendre le temps de faire évoluer un personnage, notamment ses relations avec les autres, découvrir un univers et participer à sa construction alors qu’il devient un peu plus le nôtre à chaque partie, le faire changer selon nos actions... Encore aujourd’hui, j’apprécie grandement cette école très 90’s du jeu de rôle, même si j’ai découvert bien d’autres façons de jouer depuis, tout aussi intéressantes.
De cette époque, je me souviens en premier lieu de C.O.P.S. Que j’adore ce jeu, son Los Angeles à la fois lumineux et crasseux, les diverses communautés qui l’habitent, son équilibre entre dystopie et utopie, sa politique aux rouages cachés derrière d’autres rouages cachés, sa structure en saisons, son système de courses-poursuites qui nous donnait des sueurs froides, celui des stages qui ouvrait toutes ces perspectives d’évolution, Ground 0, ses PNJ hauts en couleur, ses élections par le Net où la victoire de Kristin Lane a surpris tout le monde... Quand j’ai ensuite vu The Shield ou The L Word, je ne pouvais plus entendre un nom de quartier sans me souvenir d’une enquête, d’une course-poursuite, de mon premier mariage en jeu à West Hollywood... Une bien belle campagne, pleine d’émotions, d’action, de romance, de politique, d’amitié, d’enquêtes.
Je crois que nous avons tout joué ou presque de la troisième et quatrième édition d’INS/MV. Fire & Ice m’a bien marquée, une campagne avec une belle montée en puissance. J’ai beaucoup aimé Jésus Reviens ! aussi, pour sa dimension politique mais aussi pour sa structure où on avait l’impression d’avoir une influence importante sur les tenants et les aboutissants à la fin de la campagne, et la façon dont ces événements allaient changer la politique au Paradis. C’est marrant, car à mes yeux, INS/MV, sous un vernis fun et acide, est un jeu avec une vraie profondeur et un univers riche, ce qui n’est pas l’avis de tous les fans du jeu, notamment ceux qui ont joué aux deux premières éditions.
Enfin, je me souviens d’une longue et intense campagne de Mage: the Awakening qui se déroulait à Toulouse et a été pour moi une façon fabuleuse de découvrir l’histoire de ma ville. Parfois dérangeante, parfois puissante, elle nous a permis d’explorer à fond un jeu et un système qui reste à mes yeux un bijou pour jouer avec la magie.
Et puis il y a évidemment eu des détours plus courts par Vampire, Elric, Warhammer, Shadowrun, L’Appel de Cthulhu, Donj’ 3.5, des jeux et des univers maison, etc. À cette époque j’ai un coup de foudre pour Humanydyne et Project : Pelican, que j’ai notamment maîtrisés en campagne, et pour les jeux d’Emmanuel Gharbi et du Grümph, d’Anthony Yno Combrexelle et Willy Favre. J’aime vraiment le travail de cette génération d’auteurs.
En parallèle, je poursuis mes études de Lettres modernes et mon sujet de master 1 s’impose de lui-même, ce sera les jeux de rôle. On me dit plusieurs fois de ne pas faire ça, que je ne vais jamais y arriver. Non seulement j’y arrive (j’avoue, j’appâte le professeur avec Lovecraft), mais ça se passe plutôt bien. Je découvre la théorie, d’autres types de jeux, et c’est là encore tout un monde de nouvelles possibilités et d’autres façons de jouer qui s’ouvrent à moi : théories scandinaves, la Forge, je croise tout cela avec les théories littéraires comme Lector in Fabula ou La Morphologie du conte, et il en résulte une ébullition fertile qui me donne envie de creuser encore plus loin. Je prends conscience que du haut de sa trentaine, le jeu de rôle est un média déjà très riche mais encore jeune, avec tellement de pistes à explorer que ça en devient grisant. Alors que je soutiens mon mémoire sortent Les Forges de la fiction d’Olivier Caïra, et l’idée de la thèse germe tout doucement dans mon esprit.
Peu de temps après, je commence le GN que je pratique toujours, et là encore s’ouvre à moi un tourbillon de choses nouvelles, de rencontres, de jeux divers, de théories qui enrichiront ma réflexion... Du mainstream au nordique en passant par les formats longs ou courts, en costumes ou pas, le transparent ou pas, le freeform ou le mass larp, je touche à tout, et j’aime presque tout.
Après un master 2 recherche sur la fantasy urbaine, je décide de faire un master 2 professionnel d’édition, où mon mémoire porte encore sur les jeux de rôle, mais d’un point de vue éditorial cette fois. J’y rencontre Benoît Berthou et Anne Larue qui deviendra ma directrice de recherche. C’est donc en 2015 à l’université Paris XIII que je soutiendrai la première thèse en Littérature générale et comparée sur le sujet : Jeux de rôle sur table : l’intercréativité de la fiction littéraire. Malgré les obstacles et les découragements, j’ai pu travailler sur ce qui me tenait à cœur, à savoir ce qui fait la spécificité du jeu de rôle en tant que média. Tout est bien qui se finit bien, avec les félicitations à l’unanimité, des petits fours et un état d’ébriété d’une semaine.
Il serait trop long d’expliquer ici (encore plus long, je veux dire), ce que cette thèse m’a apporté : la connaissance de nouveaux jeux et théories bien entendu, une féminisation du terme joueuse, mais aussi l’enquête passionnante des ramifications des jeux de rôle en amont et en aval, un grand coup de pompe pour faire voler en éclats les vilains préjugés qui me restaient, une culture globale de notre loisir, mais aussi des rencontres incroyables et des amitiés qui me sont aujourd’hui chères.
En parallèle de mon inscription en thèse, je commence à travailler dans le monde de l’édition en janvier 2010 pour Black Book Éditions, où j’ai fait mon stage. J’y lance une collection de romans, À dé couvert, où j’édite de beaux textes comme Bloody Marie de Jacques Martel ou 2087 de David Bry. Je découvre le travail avec les auteurs, aussi bien que dans mes rêves les plus fous, et les difficultés du marché de l’édition en librairie. J’ai aussi le plaisir de participer à la gamme Pathfinder, pour laquelle je relis une quarantaine d’ouvrages. J’appends à travailler sur une grande gamme d’envergure, en collaboration directe avec la traductrice, et je découvre un autre aspect du travail éditorial que j’apprécie. C’est aussi l’époque où les rôlistes se retrouvent au Monde du jeu, où je fais d’autres chouettes rencontres. J’apprends beaucoup en quelques années et peux mettre en pratique ce que j’ai appris en master, de la direction d’ouvrage à la mise en page en passant par la correction.
En septembre 2012, je rejoins les Éditions Mnémos, où je dirige de beaux projets, comme L’Étrange Cabaret des fées désenchantées d’Hélène Larbaigt qui restera une fabuleuse aventure créative et humaine, ou encore le truculent et haletant Bâtard de Kosigan, qui recevront chacun un prix Imaginales. Je travaille avec des auteurs formidables comme Nabil Ouali, Mathieu Gaborit (un rêve d’ado, le monde d’Agone reste mon univers de fantasy favori à ce jour), Adrien Tomas et bien d’autres que je ne peux pas toutes et tous citer ici, avec qui c’est un plaisir et un honneur de travailler : échanger pour sortir d’une impasse narrative, revoir une structure pour rendre un récit plus percutant, travailler ensemble à accentuer la singularité du style, à améliorer une histoire, les pousser à enrichir leurs univers et à nous en montrer plus sans pour autant assommer le lecteur (un difficile travail de funambule !)... c’est pour toutes ces raisons que j’ai choisi ce métier.
Finalement, je participe à environ une bonne soixantaine d’ouvrages et là aussi, j’apprends beaucoup. Je vois notamment la magnifique collection Ourobores, si proche des splatbooks de jeu de rôle, évoluer et s’enrichir.
En septembre 2015, mon ami Jérôme Larré me propose de rejoindre sa maison d’édition de jeux de rôle Lapin Marteau, ce que j’accepte avec enthousiasme. Nous imaginons et lançons dans la foulée Sortir de l'auberge, une collection pour parler de jeux de rôle, au sens large : recueils de conseils, catalogues de techniques, dictionnaire, ouvrages sur le game design, livres plus théoriques, on veut créer un espace pour faire tout cela, et ne rien s’interdire. Nous sommes convaincu-e-s que la réflexion sur le JdR mérite d’être rendue visible, disponible en français, encouragée et conservée de façon plus pérenne que ce qui existe sur le Net ou dans la presse spécialisée.
En dehors de Ryuutama, nous avons plein de beaux projets de jeux, à ce jour (novembre 2017) Dogs in the Vineyard ou Monsterhearts 2. Un pas après l’autre, nous avançons doucement mais sûrement, en accordant à chaque projet l’attention qu’il mérite, et nous avons vraiment hâte de les voir se concrétiser !
Pour en savoir plus :
Cette bio a été rédigée le 23 mars 2016. Dernière mise à jour le 28 septembre 2018.